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Nos préférés du mois

C’est à un jet de pierre de la Louisiane que nous plonge cette fois l’auteur anglais R.J. Ellory. Il met en scène un personnage de simple flic, John Gaines, chef de la police de Whitesburg, une grosse bourgade à la limite du Mississipi, et dans laquelle il connaît tout le monde. Nous sommes en 1974 et il y a très peu de temps que Gaines est rentré de la guerre du Vietnam. Même s’il n’en est pas sorti traumatisé, l’expérience l’a marqué au fer rouge. Il ne cesse d’y penser et ne peut s’empêcher d’établir des parallèles entre ce qu’il a vécu là-bas et chaque instant de sa vie de flic à Whitesburg. Aussi, lorsque le cadavre d’une jeune fille de 16 ans, Nancy Denton, est déterré sur la berge d’une rivière, et qu’il apparaît que cette jeune fille avait disparu vingt ans plus tôt, Gaines comprend-t-il que, décidément, les horreurs ne cesseront jamais de croiser sa route. Alors qu’il croyait avoir laissé les neufs cercles de l’enfer derrière lui, cette enquête, va l’amener  en des territoires qu’il aurait préféré ne plus jamais fouler.

9cercles

Sans doute est-ce la proximité géographique, mais ce nouveau roman de R.J. Ellory (« Seul le silence », « Vendetta » etc..) nous a régulièrement rappelé les ambiances d’un autre grand du polar, américain celui-là : James Lee Burke, dont toutes les intrigues se déroulent autour de La Nouvelle-Orléans. Ici aussi, se font sentir l’emprise du vaudou, imbriquée dans les croyances religieuses et dans la farouche autarcie dans laquelle vivent certaines vieilles et grandes familles fortunées. A ce cadre viennent  fort logiquement s’ajouter des relents d’un racisme considéré comme normal dans cette région, et des rappels des écueils auxquels  la lutte pour les droits civiques a pu s’y  trouver confrontée. Il s’agit bien ici d’un cadre, et pas du propos principal : Ellory soigne son intrigue, il l’étoffe de son savant  mélange de suspense, de rebondissements et d’imprévus pour nous y scotcher dès les premières lignes. Et puis, il y a toujours ce qui semble bien devenir sa marque de fabrique : l’empathie qu’il développe pour ses personnages, et  cette capacité à transmettre au lecteur, via des passages d’une justesse parfaite,  leur ressenti dans les moments les plus marquants de leur parcours.  Passionnant, encore une fois.(« Les neuf cercles » de R.J. Ellory, Sonatine, 2014, 573p)

linge sale

Ultra-réaliste et d’autant plus crue et cruelle par moments, cette bande dessinée met en scène un dénommé Martino, libéré après vingt ans de prison. Condamné pour avoir assassiné par erreur un couple adultérin (il croyait tuer sa femme et l’amant de celle-ci, mais c’est un autre couple qui fit les frais de sa rage), il ressort de prison avec une seule idée en tête : se venger. Le message qu’il fait parvenir au désormais mari de son ex-épouse est très clair à cet égard : « Ça a attendu vingt ans, ça se mange sans faim et froid. Et tout le monde va trinquer ». Dès lors, le scénario de  Rabaté (« Les petits ruisseaux », « Un ver dans le fruit ») va  se résumer à une lutte sans merci entre un homme déterminé et sans doute assez créatif, et les membres d’une famille qui désirent par-dessus tout rester en vie. Si l’intrigue est solide et jamais ennuyeuse, si l’on y passe de situations abracadabrantes en rebondissements imprévus, jamais rien ne paraît insensé ou irréaliste. Comme si la banalité des personnages mis en scène cautionnait leur vécu. Car ici, point de héros ou de vrais méchants, pas plus que de personnage réellement sympathique ou attachant d’ailleurs. Cynique, ironique et, malgré un dessin souvent tout en rondeurs et même si le sang n’y coule jamais de manière flagrante, décapant dans son vocabulaire et sa mise en scène. Âmes sensibles, s’abstenir. (« Le linge sale »  de Rabaté et Gnaedig, Vents d’ouest, 2014, 126p.)

vieux fourneaux tome 2

Nous avions dit beaucoup de bien du 1er tome de cette bd lorsqu’il était paru début 2014. Rappelez-vous, c’était ici. Le deuxième étant largement à la hauteur, une histoire originale, à contre-courant et  drôlement irrévérencieuce, sa sortie est pour nous l’occasion de retaper sur le clou : si vous l’aviez manqué à l’époque, profitez de cette sortie pour vous y plonger et vous en offrir deux d’un  coup.  Cette fois, nos vieux rebelles vont expérimenter la vie en communauté, la gestion d’un afflux financier imprévu et se retrouver confrontés à la ré-apparition tout aussi imprévue d’un amour de jeunesse.  Dialogues ciselés, situations ubuesques, personnages attachants et intrigue rebondissante, voilà de la bd comme on l’aime ! (Les vieux fourneaux : tome 2 / Lupano et Cauuet, Dargaud, 2014, 56p.)

Nos coups de cœur du moment

« Les Suprêmes » de Edward Kelsey Moore (Actes Sud,  2014) 

supremes

Qui n’a jamais entendu parler de « The Supremes » ce célèbre groupe américain, lancé dans les années 60 et composé de 3 chanteuses, dont la célèbre Diana Ross ?

C’est en référence à ce trio mythique que tout le monde surnomme ainsi Odette, Clarice et Barbara Jean, trois merveilleuses et pétillantes afro-américaines qui  vivent à Plainview, petite ville dans l’état de l’Indiana. Odette, la narratrice de ce roman, nous entraîne dans le récit de son quotidien et de celui de ses deux amies, depuis leur rencontre à l’adolescence jusqu’à aujourd’hui. Entre Odette qui dialogue avec les morts et soigne son cancer à la marijuana, Clarice qui essuie les frasques extra-conjugales à répétition de son séducteur de mari et Barbara Jean qui cherche refuge dans l’alcool pour tenter d’oublier ce que la vie lui a fait endurer, la vie n’est pas rose tous les jours mais l’optimisme est pourtant bien de mise.

Trois caractères très différents, trois tempéraments bien trempés qui traversent les différentes époques marquantes des Etats-Unis, notamment celle de la ségrégation raciale que personne n’a  oubliée et dont les relents sont encore, malheureusement, bien présents de nos jours.

Le ton est décalé ; le récit est vif et constitue une ode à l’amitié profonde, durable.

Un roman emballant, un excellent mélange d’humour et d’émotions !

 

 

« Les vieux fourneaux : Tome 1 : Ceux qui restent » de Lupano (scénario) et Paul Cauuet (dessin) (Dargaud, 2014, 56 p.)

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Trois vieux amis se retrouvent lors de l’enterrement de la compagne de l’un d’entre eux. L’occasion d’évoquer leur vie passée, leurs passions et leurs engagements. Mais également de faire connaissance avec Lucie, petite-fille et portrait craché de la défunte. Enceinte de sept mois, celle-ci-rayonne de joie de vivre et porte un regard sans concession sur les excès et autres injustices de notre époque. Touchés par la fraîcheur de la jeune femme, les trois vieux complices se sentent revivre. De là à prendre la route tous ensemble pour éclaircir un mystère révélé par la lecture du testament de leur amie et femme, il n’y a qu’un pas qu’ils franchissent, malgré leur grand âge, allègrement.  Une bande dessinée résolument à contre-courant, réjouissante, pleine d’humour et dont les thèmes et personnages toucheront un très large public : à l’image des trois « héros », il suffit de rester jeune dans sa tête !

 

« L’arc en ciel de verre » de James Lee Burke (Payot et Rivages, 2013)

arc-en-ciel-verre-1361051-616x0Dix-huitième enquête pour Dave Robichaux, l’ex-flic de La Nouvelle-Orléans, officiant depuis plusieurs années dans la petite ville de New Iberia. Avec son ami Clete Purcell, c’est à une enquête sur la mort de plusieurs jeunes filles qu’il s’intéresse cette fois. Comme toujours avec James Lee Burke, rien n’est évident, les apparences sont trompeuses et l’enquête avance très lentement, non sans ménager de nombreux moments de tension. Au-delà de l’enquête, là où Burke excelle réellement, c’est dans le réalisme des situations décrites et la psychologie parfaitement crédible des personnages. Qu’ils perdent complètement pied, qu’ils s’interrogent sur leur existence au gré des coups qu’ils reçoivent ou des sentiments qu’ils éprouvent pour leurs proches, Purcell et Robichaux, sont toujours aussi crédibles, touchants et, jusque dans leurs excès, totalement sincères. Du très bon roman noir américain.

 

« Nos disparus » de Tim Gautreaux (Seuil, 2014)  

21-nos-disparusDébarqué en France à la toute fin de la Première Guerre mondiale, le jeune Sam Simoneaux est brièvement affecté au nettoyage des champs de bataille. Expérience terrible pour le jeune garçon, déjà frappé durement par le destin puisqu’il n’a jamais connu son père ni sa mère ni son frère ou sa sœur, tous ayant été tués alors qu’il n’avait que 6 mois, dans leur ferme familiale en Louisiane.

Rentré au pays, il se dégotte rapidement un emploi de responsable dans un grand magasin de La Nouvelle-Orléans mais, tenu pour fautif dans l’enlèvement d’une jeune fille au cœur de l’établissement, il en est tout aussi vite congédié, non sans qu’on lui ait fait miroiter l’espoir d’un réengagement au cas où il retrouverait Lily Walker, la jeune disparue. Les parents de cette dernière travaillant sur un navire qui sillonne le Mississipi, Sam se dit qu’il est possible que les ravisseurs aient repéré Lily lors d’une étape. Il se fait donc engager à bord, dans l’espoir fou de localiser les malfaiteurs et de la retrouver.

Le bateau sur lequel Simoneaux travaille pourrait être considéré comme une salle de fête flottante : à chacune de ses étapes, il embarque des dizaines de personnes et leur propose, le temps de quelques heures, de s’amuser, de boire et de jouer sur des machines à sous. Les villes et villages desservis par le navire n’étant que des rassemblements d’habitations, ce bateau était pour leurs habitants le seul moyen de se divertir ou de découvrir de nouvelles musiques. L’un des mérites du roman consiste justement à nous faire prendre conscience qu’une grande partie des  Etats-Unis, à cette époque, vivait encore très misérablement et que les mœurs de ses habitants étaient d’une violence extrême. Tenaillé par la culpabilité, désireux de rendre la jeune fille à sa famille, Sam ne pourra s’empêcher de faire le rapprochement entre l’histoire de Lily et son expérience personnelle.  Désir de vérité sur la tuerie qui a coûté la vie à toute sa famille et possibilité de vengeance vont donc commencer à l’habiter.

Ce riche et dense roman américain propose un voyage au long cours très coloré dans le sud des Etats-Unis. Certaines étapes pourront paraître parfois trop longues, mais le superbe final mérite qu’on s’y accroche.

« Oona et Salinger » de Frédéric Beigbeder (Grasset, 2014)

téléchargementPersonnage fantasque et très people des médias français, Frédéric Beigbeder est également un passionné de littérature. Son dernier roman s’attache à deux figures marquantes du 20e siècle : Oona O’Neil (plus connue comme la dernière épouse de Charlie Chaplin) et Jerry Salinger, l’auteur d’un seul mais néanmoins célèbre roman : « L’attrape-cœur ». Beigbeder admire les deux personnages et son roman, qui fait appel à de nombreux éléments historiques, s’en ressent, tant la tendresse et la compréhension de l’auteur pour les deux « héros » y est palpable.   Le roman commence avec la rencontre de Oona et de Jerry au Stork, un bar huppé de New-York. On y croise quantité d’autres personnalités connues mais Jerry n’a d’yeux que pour Oona. S’en suit une brève histoire d’amour passionnée et très mondaine, qui se clôture par le départ de Jerry pour l’Europe et plus précisément pour un fameux débarquement sur les plages de Normandie. A partir de ce moment, Beigbeder (qui intervient souvent dans l’histoire pour nous préciser l’un ou l’autre détail, ou pour distiller un trait d’humour dont il a le secret) imagine une correspondance entre les deux personnages et les met en scène dans ce qui fut très vraisemblablement leurs existences respectives, à des milliers de kilomètres l’un de l’autre : Oona résignée et se donnant à Chaplin, menant la grande vie à Los Angeles et Jerry traversant toutes les étapes de la reconquête de l’Europe par les Alliés, en ce compris la libération des camps. Passionnant de bout en bout, léger et grave, documenté mais pas didactique, «Oona et Salinger » est surtout une ode à l’amour (même si certaines opinions de l’auteur hérisseront quelques lecteurs) et une invitation à la recherche d’une existence heureuse. Au travers de son style faussement léger, Beigbeder convaincra ceux qui savent lire entre les lignes que la profondeur ne doit pas nécessairement revêtir des habits trop sérieux.

« Je reviendrai avec la pluie » de Takuji Ichikawa (J’ai Lu, 2013) 

reviendraiTakumi  partage son quotidien avec Yûji, son fils de 6 ans, depuis le décès de son épouse, Mîo. Ce n’est pas chose simple pour cet homme angoissé et à la santé fragile que de prendre soin de ce petit être et de poursuivre leur route à deux.  Mîo lui avait dit « qu’elle reviendrait avec la pluie » et un an plus tard, au retour de la saison des pluies, elle réapparaît …un peu comme par magie. Elle a perdu la mémoire. C’est l’occasion inespérée pour renouer avec ce qu’ils ont vécu, faire à nouveau connaissance et donner vie à une nouvelle histoire.

Tout est délicatesse, beauté et poésie dans ce récit extrêmement touchant et raconté avec des mots simples, sans la moindre fioriture. Une écriture toute en retenue qui aborde le thème de l’amour (l’amour éternel existe-il ?) mais également celui du deuil et de la reconstruction.